Le château de la Belle au Bois Dormant

 

Essai de chronologie

 

 

 

Version 4;2_Page 28-51_janvier 2024

 

Après avoir fait le tour du manoir on se pose tout naturellement la question suivante : de quand date-t-il ?

 

Il suffit de relire Fréminville et son ouvrage sur les Antiquités du Finistère, page 16.

 

Pour mémoire le texte de Fréminville est contemporain de la rédaction du Cadastre Napoléonien.

 

Le manoir actuel daterait donc du 17ème, ce qui explique sa ressemblance avec de nombreux bâtiments de la presqu’ile, qui sont justement datés du début du 17ème, pendant la jeunesse de Louis XIII, après les guerres de Religion, qui ont amené la destruction de nombreuses habitations. Pour mémoire, plus de 4000 soldats franco-anglais (tous protestants) ont été mobilisés pour venir à bout des 400 espagnols retranchés au bout de la presqu’ile de Roscanvel. Leur empreinte sur les campagnes catholiques a été certainement très forte.

 

Cyrille Moguer dans son livre « Escale à Crozon » écrit, que la grange est datée de 1605, ce qui est en accord avec le texte de Fréminville.

 

Les propriétaires

 

Goulhezre

 

Le manoir est entré dans la famille Legentil en 1659 à l’occasion du mariage de Tanguy Legentil, seigneur de Pencran avec Françoise Esther Goulhezre, dame héritière de Kerlern. Son père, Jean Goulhezre, est d’ailleurs mort cette même année 1659. C’est probablement son père, qui a fait construire le manoir actuel, lequel a succédé à un manoir plus ancien, dont il reste certainement quelques éléments. Il a peut-être conservé la cave avec son pilier, l’escalier à vis (il y a avait également un chez Ida Noury à Crozon, ainsi qu’une grande cheminée) et probablement les deux portes avec les angelots.

 

La famille Goulhezre ayant été très prolifique, il est parfois difficile de s’y retrouver. Elle est apparemment originaire de Saint Nic (village de Leuré), mais elle possédait également de nombreux domaines entre Châteaulin et Crozon (et même dans la région de Sizun), ce qui complique le suivi quand tous les noms de lieux ne sont pas cités, ce qui est généralement le cas, ou pas toujours les mêmes, ce qui arrive parfois. Sur Crozon elle était présente notamment à Trémet, Kerlern et Trébéron. En 1581 a eu lieu le partage des biens de Jean Goulhezre, sieur de Kerlern et de Jeanne Le Queniat, dame de Kerlern. Un manoir devait déjà exister à cette époque. Ogée le datait du 15ème siècle, donc après les guerres de succession de Bretagne, qui ont ravagé la région (Saint Nic avait été même vidé de ses habitants); ce qui n’est pas impossible.

 

Le nouveau manoir a été construit sur la cave avec une cuisine à côté (séparée de l’habitation principale, comme au Pors de Trégoudan) ; plus tard un bâtiment servant d’office est venu faire la liaison entre les deux comme le montre bien le plan de Didier Cadiou. Il devait cependant y avoir autrefois une porte ouvrant sur le jardin.

 

Peut-on remonter encore plus loin dans le temps ? Pour le moment cela n’a pas été possible.

 

On admettra donc que le manoir date du début du 17ème siècle avec des restes du manoir précédent daté du 15ème.

 

Legentil

 

Si des membres de la famille Legentil ont probablement habité le manoir pendant la plus grande partie du 17ème, la plupart des BMS des familles nobles ne donnent pas d’indication sur le lieu de naissance. Il est donc difficile de savoir, qui a réellement habité le manoir. Par ailleurs la famille Legentil est également très prolifique et malheureusement toutes les filles ne sont pas mentionnées dans les listes, qui ont été dressées.

 

On voit notamment, que le père d’Emmanuel, Pierre, dit le chevalier de Kerlern, n’était que le frère cadet de Jean-Tanguy, seigneur de Kerlern. Lors de la révolution, son fils, Louis, a eu des différents avec Thomas-Louis Le Mignon de Lodoen, qui l’a même fait arrêter et enfermer. C’est probablement lui, qui habitait le manoir à cette époque.

 

Emmanuel Legentil aurait alors hérité du manoir de Quélern après le décès de Louis, mais il ne l’a peut-être jamais habité, ce qui tordrait le cou à de nombreuses affirmations.

 

Emmanuel Legentil, un riche propriétaire

 

Emmanuel Legentil, Baron de Quélern, est né à Quimper (Locmaria) en 1773 (c’est par erreur, que l’on trouve parfois 1775). Dans la liste des individus présents au baptême il a beaucoup de monde, dont Louis Marie et Louis René Marie, son oncle. Il faut noter l’utilisation fréquente du prénom «René ».

 

 Il a vécu à Brest, où il décède en 1843. C’est un riche propriétaire, qui possède de nombreux biens en plus du manoir de Quélern.

 

Par exemple, dans la déclaration de 1812 sur le lieu de Garrec Ven (page 31-03), la mère d’Emmanuel Legentil (Renée Augustine Meslou ou Melon) habite Brospel (village situé à l’est de Crozon, avant Penandreff) et non pas le manoir de Quélern. Cette déclaration fait suite à une précédente déclaration datée du 24 octobre 1751, mais elle ne mentionne pas le bénéficiaire de la rente à cette époque. Par contre la répartition des contributions des différents domaniers rattachés au lieu de Garrec Ven a été fixée dans un document non daté, qui a été rédigé à la demande d’une dame de Kerobézan ; il doit s’agir d’une des tantes d’Emmanuel Legentil, Marguerite Legentil de Kerlern (elle ne figure pas dans la liste ci-dessus mais doit être une fille de Jacques Legentil) , qui a épousé en 1724 François René de la Fruglaye de Kerobézan. Elle décède en 1784 au bourg de Crozon et parmi les domaniers il y a la veuve de Joseph Keraudren, qui lui est décédé en 1779. La répartition a donc été faite entre 1779 et 1784. Cela ne veut pas dire pour autant, que la Dame de Kerobézan ait été propriétaire du manoir de Quélern ; elle a seulement hérité d’une partie des terres.

 

On sait aussi, qu’ Emmanuel Legentil a acheté le manoir du Poulmic à sa dernière héritière, Marie Sophie de Rousselet, vicomtesse d’Artois, épouse de Charles Henri, comte d’Estaing (voir l’aveu de 1750 sur Parc Cardinal, sachant qu’elle est séparée de biens dès 1767) et qu’il possédait enfin un domaine important au Tréodet, village situé au nord de Quimper (voir sur le site « le grand terrier »).

 

Comparaison n’est pas raison

 

En 1581 le sieur Goulhezre était sieur de Tremet, Kerlern et Trébéron. Avait-il 3 « châteaux » ? Il y a déjà le manoir de Trébéron vers la plage de l’Aber et celui de Kerlern. Par ailleurs Louise Derrien décède au manoir de Tremet en 1772 ; si le manoir de Tremet reste pour le moment difficile à localiser, il peut s’agir de la maison occupée par la famille Moan au début du 18ème siècle et qui est située sur le plateau (voir le schéma de la page 01-05).

 

Lors de l’inventaire des feux en Cornouaille en 1395, Trébéron est mentionné à part, comme si c’était une paroisse à part entière ou, du moins, un territoire, qui n’appartenait pas aux Rohan ; il comptait alors12 feux. Il n’est pas interdit de penser, que le manoir de Quélern ait été construit au 15ème siècle sur la base de celui de Trébéron mais c’est peut-être aussi l’inverse. Le manoir de Trébéron  a été reconstruit dans les années 30 ; il faudrait retrouver une photographie prise dans les années précédentes.

 

En effet il est difficile de ne pas faire une comparaison entre les deux manoirs, du moins, tel qu’ils figurent dans le cadastre napoléonien de Crozon. La similitude est troublante. La même forme rectangulaire avec le manoir au centre de l’un des côtés, entouré de deux constructions, dont une maison à four, avec deux ailes latérales avec retours mais ici elles sont toutes les deux séparées du manoir. Il y a également une construction à l’arrière (dont probablement un escalier ?)

 

Seule exception de taille dans cette comparaison: l’absence à Trébéron de la grande allée, qui monte vers le moulin.

Mais il y a aussi un autre manoir plus près : celui  de Goandour (ou Gouandour), situé un peu à l’écart de la D8, qui va de Crozon à Camaret.

 

C’est actuellement un gite pour une partie des bâtiments et une bergerie pour le reste. J’ai donc choisi une photographie contenue dans le livre sur la presqu’ile de Crozon publié en 1976 par Louis Calvez, ancien Curé-doyen de Crozon.

 

Il y a au fond de la cour un manoir, qui daterait du 16ème siècle, avec un porche conduisant à la grange, dont la porte d’entrée est visible derrière. Un escalier extérieur permet d’accéder à l’étage au dessus du porche. Il faut noter le grand toit à 4 pentes au dessus de la tour. Sur les deux côtés il y a des bâtiments d’exploitation et une maison d’habitation.

 

La consultation du cadastre napoléonien permet de voir, qu’ il y avait le four à pain sur le dernier côté de la cour.

 

Contrairement au manoir de Quélern, où on avait une assez bonne corrélation entre les différents plans, on a ici une légère distorsion, mais on retrouve assez bien les différentes parcelles. Il y a des constructions nouvelles, notamment au niveau du gite. La liaison entre la maison, d’habitation et le manoir, qui existait déjà en 1830, avait disparu entretemps.

 

Il est donc bien possible, que la tour de Quélern soit le reste d’un porche, qui s’est partiellement effondré, mais de quand daterait ce porche ?

 

 Essai de chronologie

 

Sur la base des éléments recueillis il est alors possible d’esquisser l’évolution  du manoir de Quélern depuis le 15ème siècle.

 

Faute d’informations précises il faut se limiter à des suppositions. Le manoir initial a été construit après la guerre de succession  de Bretagne, qui a ravagé la région au 14ème siècle. Il en resterait la cave et l’escalier à vis, plus éventuellement d’autres constructions mal définies. Le mur de refend de la cave se poursuit au rez-de-chaussée avec ses deux portes sculptées. L’escalier devait desservir deux pièces sous le toit, éclairées par des baies vitrées comme à Crozon ou même un second étage. Il y avait peut-être une tour à proximité pour se réfugier en cas de troubles ; elle était alors accessible uniquement au niveau du 1er étage comme dans beaucoup de cas similaires.

Selon Emmanuel Legentil le manoir actuel date du 17ème siècle, donc après les guerres de religion, qui ont secoué la Bretagne. Il a été construit sur la cave, qui a été récupérée. Au rez-de-chaussée le mur de refend a été réutilisé pour séparer la salle à manger de la pièce principale et les encadrements des portes ont été conservés.

Une cuisine a été édifiée dans l’un des angles, séparée du manoir proprement dit. Le manoir a été complété par des constructions annexes : pavillon, galerie ou remise avec une construction accolée au manoir, avec peut-être un escalier extérieur. En face une grande grange datée de 1605 et l’allée, qui mène au moulin.

Le plan de 1784, s’il est fidèle à la réalité, confirme la configuration générale. Seule addition : un bâtiment plus léger, qui a été édifié entre le manoir et la cuisine; il est qualifié d’office dans la page 28-42. Il devait y avoir cependant un accès direct vers le jardin. Le plan de 1784 montre également très bien un décalage existant entre la tour et la galerie, ce que ne confirme pas réellement le mur encore en place. Le pavillon est plus petit, que celui d’aujourd’hui. Mais de quand date réellement la galerie ? ses portes paraissent anciennes, mais elles peuvent très bien provenir de bâtiments précédents détruits ou modifiés Avait-elle effectivement un étage comme le suggère la poutre encore en place.

Le plan de 1836, quelle que soit la date réelle de réalisation, montre, que la tour a disparu. Par contre le pavillon  a été agrandi par l’addition du four. C’est à ce moment, que la porte a été percée au 1er étage de la galerie pour permettre d’accéder à la pièce située au dessus du four.

La disparition de la tour peut très bien être une conséquence de la Révolution ; toutefois rien n’interdit de renverser l’ordre des plans et considérer, que le fond d’écran utilisé en 1836 reprend un dessin nettement plus ancien, que celui utilisé dans le plan de 1784. La tour est alors une addition récente, avec un porche au rez-de-chaussée et un étage accessible par la galerie ; le porche permet alors un accès direct aux habitations des fermiers.

Selon le cadastre napoléonien l’espace compris entre la cuisine et la galerie est désormais comblé. Le mur de la tour a été percé de nouvelles portes, 2 par étage. C’est probablement à cette occasion, qu’un passage a été aménagé au dessus de l’office pour accéder à la nouvelle construction et qu’un escalier a été installé.

Il faut souligner le faible écart entre les 3 plans : 50 ans seulement.

Le manoir occupe désormais avec ses dépendances une parcelle de 1200m².

Aujourd’hui la plus vieille partie de la tour a finalement disparu. Le mur restant a été consolidé grossièrement, mais les portes, qui donnaient accès aux pièces des deux étages ont été murées, à l’exception  d’une seule. Des fenêtres ont été percées pour éclairer l’escalier intérieur, puis murées.

Une porte a été fermée à la base de la nouvelle tour. Il n’y a plus d’accès vers le jardin. La pièce est totalement séparée du reste du manoir mais sa cheminée le conduit de celle de la cuisine.

Une anomalie de taille : la qualité de la corniche en haut de la tour actuelle, récupération probable d’une construction plus ancienne.

La galerie a été prolongée sans aller jusqu’à la tour, puis elle s’est effondrée.

Le grand toit à 4 pentes, qui recouvrait l’ensemble pavillon-four est aujourd’hui partiellement effondré, le four a  perdu son étage et la porte d’accès située au niveau supérieur de la galerie donne désormais dans le vide.

 

Ce n’est qu’une approximation, mais il faut retenir la présence d’une cave, signe de richesse et celle d’un escalier à vis interrompu, signe d’une construction plus ancienne et plus élaborée mais, qui n’a pas été reprise lors de la reconstruction du début du 17ème siècle.

 

Il y a toujours le problème de la tour, construction, qui tranche nettement avec le reste du manoir.

 

Le comblement de l’espace a été fait entre 1784 et 1830 par Louis Legentil ou peut-être même par Emmanuel Legentil. Cela correspond à la période de la Révolution, pendant laquelle la région a été encore secouée. Thomas Louis Le Mignon de Lodoen avait même fait emprisonner Louis Legentil. Le manoir a-t-il subi alors un début de démantèlement ? La galerie aurait-elle été partiellement démolie et les pierres réutilisées pour combler l’espace entre la première tour et la cuisine pour créer un ensemble plus facile d’accès?

 

Puis une partie de la tour s’est effondrée. Quand ? La photographie du manoir a été prise lors de la campagne de photographie aérienne de la presqu’ile en 1919 montre, qu’elle avait déjà disparu. En fait il est vraisemblable, que le fait d’avoir une allée d’une quinzaine de mètres, descendant en ligne droite de la butte pour arriver dans la cour, a été dès le départ source de désordres et les profondes entailles dans le revêtement de l’allée le rappelent. L’eau a miné la base de la tour, qui s’est effondrée, L’allée a été déviée pour la raccrocher à celle, qui longe la remise-écurie. Est-ce que cela a suffit ? Il suffit de voir la quantité de terre accumulée sous le soupirail central du manoir depuis l’abandon du manoir pour répondre par la négative.

 

Le fait d’avoir retrouvé, que la galerie avait un étage, peut-il remettre en cause ce schéma ? il est tentant d’avancer, que la galerie formait avec l’ancienne tour un seul et même bâtiment adossé au manoir mais indépendant, éventuellement divisé en plusieurs habitations (il subsiste encore plusieurs portes donnant sur la cour et au moins une fenêtre). La corniche en haut de la tour pourrait alors provenir de l’ancienne tour ou même de l’étage de la galerie, car la qualité de cette corniche est nettement différente de celle du reste de la tour. Dans ce cas elle pourrait être un vestige de l’ancien manoir ou d’un autre manoir appartenant à l’une des deux familles concernées par ces modifications: Goulhezre ou Legentil.

 

Enfin, que desservait réellement cette porte à l’étage de la galerie ?