L'allée triomphale

Version 4.2_ page 28-21_ janvier 2024

En sortant du manoir on arrive sur un chemin, qui monte en droite ligne vers Penarcréac’h.

Ce chemin a été par endroit profondément entaillé par les eaux de ruissellement, ce qui rend la progression difficile. Curieusement il est bordé par deux talus distants d’une quinzaine de mètres sur pratiquement toute sa longueur.

Ces talus sont plus ou moins visibles en raison de l’abondance de la végétation mais, si on peut faire l’abstraction de la végétation, qui l’encombre, on est en présence d’une sorte d’allée triomphale, reliant vraisemblablement le manoir au moulin de Quélern, situé autrefois sur le plateau, face à la mer.

 

 

 

En fait le chemin débouche au dessus du village de Penarcréac’h. Des broussailles masquent le point d’arrivée du chemin.

S’il n’y avait pas les traces de cheminement au sol, on ne se douterait pas, qu’il y a un chemin et on ne s’y aventurerait probablement pas.

 

Les Photos de 1919

 

Brest Métropole a mis en ligne un grand nombre de photographies aériennes concernant le pourtour de la rade de Brest. Il y a notamment tout un ensemble de photographies prises en 1919, à une époque, où les arbres étaient encore rares.

 

Sur l’une des photos il est possible de retrouver le manoir et l’allée, qui part du manoir pour aller vers le moulin. Compte tenu de la pente, il est difficile de parler d’allée cavalière. Quel pouvait donc être son but ?

 

L’allée s’arrête avant le village de Penarcréac’h. Elle devait pourtant continuer en direction du moulin de Quélern, qui est juste un peu plus loin car il semble bien y avoir là aussi la trace de deux talus.

 

Le découpage des terres a-t-il été modifié ? À droite il semble y avoir également une allée similaire partant du village de Kerinou mais c'estv juste une parcelle étroite.

Sous réserve d’erreurs de parallaxe l’allée semble prendre son départ dans la cour du manoir, dont elle a exactement la largeur.

 

Que disent les Cadastres ?

 

L’allée figure sur le plan cadastral actuel, qui confirme bien l’alignement sur le manoir. On reviendra plus loin sur le virage en devant la grange (parcelle n°7).

 

 

Le cadastre napoléonien se sert de l’allée pour déparer deux sections : la section 2 de Lesvrez et la section 8 de Persuel.

 

Le plan de la section  de Persuel montre bien l’allée, qui arrive devant le manoir avec un décrochement à gauche, comme si on s’alignait désormais sur la tour et non plus sur le manoir.

 

Le décrochement se retrouve aussi sur la photographie de 1919

 

Noter le cheminement, qui traverse les champs.

 

Autour du moulin de Quélern

 

Le plan du village de Penarcréac’h permet de voir le haut de l’allée avec le décrochement provoqué par la parcelle 243. L’endroit le plus étroit correspond d’ailleurs la barrière de broussailles représentée sur la photographie ci-dessus

 

Le moulin est sur la parcelle 370. Les parcelles, qui l’entourent, portent le nom de « guichen ar veil » (auprès du moulin). Le profil arrondi des parcelles peut être un rappel de l’ancien tracé de l’allée avec une zone intermédiaire, découpée différemment, comme s’il y avait eu un partage de tout l’espace entre les deux chemins  selon d’autres critères.

 

Le plan de 1782.

 

L’allée figure sur le plan de 1782, mais l’espace devant l’entrée du manoir est plus grand. Il y a déjà la grange ; Jardin nevez, Liors Eost, Liors quélern ont bien les dimensions, que l’on retrouvera 50 ans plus tard sur le cadastre napoléonien. Toutefois l’inclinaison de l’allée est erronée ; pourtant l’alignement tour-grange-communs est bien respecté. En haut de l’allée figure également la parcelle 243, qui va empiéter sur son tracé, mais l’inclinaison ne correspond pas non plus à la réalité, comme si le dessinateur avait rencontré des difficultés pour recoller les différents éléments. 

 

La grange

 

Le long de l’allée, en face du manoir s’élève encore un grand bâtiment, aujourd’hui presque totalement ruiné. Il reste des pans de mur, un pignon et des restes de charpente.

 

Il s’agit de la grange visible sur la photographie de 1919 et sur une autre plus récente

Sauf erreur c’est celle, qui est représentée dans le livre de Cyrille Moguer. Elle serait datée de 1605, donc contemporaine de la réfection du manoir.

 

L’allée n’arrive plus directement dans la cour du manoir ; elle fait un coude et l’espace ainsi récupéré a été incorporé à Jardin Nevez

 

Inclinaison de 6°

 

Quand on regarde de près les plans et photographie on s’aperçoit, que, si l’allée a une largeur très proche de celle du manoir, elle n’est pas rigoureusement dans l’axe il y a en effet un angle de l’ordre de 6°. Il n’est pas facile d’évaluer l’angle avec précision car la photographie de 1919 n’a pas une définition suffisante ; de son côté le plan cadastral de 1830 est assez approximatif au niveau du manoir.

 

Le cadastre napoléonien permet de voir également, que l’allée de Kerinou est en fait un ensemble de lanières difficilement exploitables et finalement transformées en chemin au début du 20ème siècle.

 

Cette inclinaison de 6° environ se retrouve dans le plan de 1782 mais pas dans celui, qui est daté de 1836. Le mur extérieur de la remise est également aligné sur le coin est de la grange (3ème trait rouge) avec un angle similaire (en fait il est de 8° selon le relevé de Didier Cadiou).

 

Implication dans l’évolution du manoir

 

Dans un pays connu pour son manque de grands moyens de communications et sa prédilection pour des chemins tortueux, que vient faire une allée de 15 mètres de large  et en ligne droite sur près de 200m?

 

La seule explication possible : la manifestation de la puissance du seigneur, qui a fait tracer une allée entre son manoir et son moulin avec, devant le manoir, la grange pour stocker le blé et le four banal.

 

Pour passer devant la grange il fallait déjà incliner l’allée de 6° mais pour aller en droite ligne du manoir au moulin il eut fallu incliner l’axe de l’allée de 6° supplémentaires (trait bleu). Il est possible que le propriétaire de la parcelle 243 (le numéro, quelle porte sur le cadastre napoléonien) ait refusé de céder cette parcelle, ce qui a conduit à modifier le tracé de l’allée et peut-être même à terminer le tracé jusqu’au moulin. En fait le propriétaire de la parcelle est aussi celui du manoir.

 

Toutefois cette allée présente un inconvénient majeur. En effet, en hiver, c’est un véritable canal de dérivation pour les eaux de ruissellement, même si la butte de Penarcréac’h n’est pas tout à fait le sommet du plateau ; le moulin de Lesvrez est situé encore un peu plus haut en culminant à 60m.

 

Les profondes entailles dans le chemin actuel montrent bien la violence des eaux, qui dévalent la pente et entraient autrefois directement dans la cour du manoir, inondant la cave et attaquant la base des murs. C’est peut-être la raison de l’effondrement de la tour.

 

La photographie ci-dessous montre, que malgré la modification du tracé de l’allée l’eau entre encore par le soupirail situé sous le perron, entraînant avec elle de la terre. La déviation créée au niveau de la grange, qui permet de diriger l’eau vers l’autre allée et vers la mer, n’est donc pas encore suffisante pour protéger les bâtiments (en jaune sur le schéma ci-dessus).