Au sujet du nom de Quélern_il faut lire Fréminville

 

 

Version 4.2_Page 27-81_janvier 2024

 

Point de départ

 

L’affaire commence lors de la lecture d’un échange sur internet entre deux militaires, qui avaient effectué un séjour au Sourdis.

Le premier décrit son séjour et précise : « Quélern, en breton Kerlern. Le malheureux ne savait pas ce qui allait lui tomber sur la tête.

                       

En des termes particulièrement choisis, son collègue le remet à sa place : « en breton on dit Kelern ».

 

Qui a raison ?

 

En effet sur le panneau à l'entrée du hameau on a effectivement « Kelern », mais cette orthographe est-elle la bonne ?

 

La première marche

 

Lors de la précédente version j’ai loupé la première marche et je suis parti droit dans le mur.

En effet, la bonne question  c’est : quel breton ? Celui des villes, que l’on voit désormais sur les panneaux indicateurs ? Celui des champs avec toutes leurs variantes locales?

 

Déjà certains panneaux ne sont pas cohérents. Juste à côté il y a le village de Saint Fiacre. D’un côté on trouve Sant Fiakr, avec un K pour faire vrai ; de l’autre on a Sant Fieg, du nom de l’ancien saint, comme on associe St Rémy et St Riok ou St Eloi et St Alar.

 

La commune de Crozon est plus prudente : on trouve « Kraozon » sur les panneaux indicateurs et certaines publications, mais parfois elle ressort aussi l’ancien nom breton de la paroisse:« Kraon ».

 

Commençons par celui des champs.

 

Le sieur de kerlern

 

 Goulhezre, sieur de Kerlern

 

 Si « Kerlern » se retrouve dans le dictionnaire de la noblesse de 1774 et dans la plupart des textes concernent la famille Goulhezre, première à porter le titre de seigneur (ou sieur) de Kerlern, les transcriptions des montres disponibles sur internet donnent déjà Quelern car elles sont reprises en OCR.

 

La famille Goulhezre (avec diverses graphies : Goulere, Goulaire, Gouler...), originaire de Saint Nic, avait beaucoup de biens dans la presqu'ile, dont Kerlern, Tremet, Rigonou (mais il s’agit ici d’un village du même nom vers Saint Nic).

 

 Le Gentil de Kerlern

 

Le titre de "sieur de kerlern" est passé dans la famille Le Gentil en 1659, quand Tanguy Le Gentil a épousé Françoise Esther Goulhezre, Dame héritière de Kerlern.

 Pour se distinguer des autres branches de la famille il s’est fait appeler par la suite Le Gentil de Kerlern.

 

Le dernier à porter ce nom a été Emmanuel-Marie Le Gentil de Kerlern. 

La chancellerie de la Légion d’Honneur a mis sur internet une partie de ses archives et on trouve ainsi son dossier:

Emmanuel-Marie est bien né en 1775 et non pas 1773, comme on le voir souvent. Le nom est bien Kerlern , en utilisant l’abréviation usuelle de « Ker ». Cette orthographe se retrouve dans la copie de l’acte de baptème.

 

On le voit enfin dans le serment au roi.

 

Il faut noter la signature : "legentil " en un seul mot, que l’on retrouve aussi dans des actes de 1812.

 

Les noms de lieu

 

Quand on regarde les BMS d'avant la révolution on constate que, si la famille signe bien "Kerlern", elle habite le château de Quélern. Sur une carte c’est Quelerne.

 

Dans l'acte de mariage daté du 20 mars1738 de René Joseph de Kersauzon avec Anne Yvonne Daniel, veuve de Tanguy Le Gentil on trouve les deux.

 

Dans l'acte de décès d'Anne Folgar de 1741 : son mari, Marc Derrien, habite Kerlern.

 

Par contre, quelques années plus tard, dans un rachat de droits seigneuriaux en 1753 : Marc Derrien habite Kerlern-Tremet.


C’est par ailleurs le seul document, où l’on voit le nom de lieu « Tremet » associé à celui de Quélern.

 

Jean Raoul habitait Quelern en 1739, mais un siècle plus tard la veuve de Louis Raoul habite Kertoupin, près du manoir.

 

Le manoir de Quélern et Kertoupin

 

Comme dans beaucoup de cas similaires, le village est à cheval sur deux sections et deux feuilles : 2.1 de Lezvrez et 8.1 de Persuel. Liors Quelern est également à cheval sur les deux feuilles.

 

Le village de Quélern apparait rarement en temps que tel par contre on retrouve Quélern dans l'appellation de camp ou retranchement de Quélern,  lignes de Quélern, mais aussi souvent sous la forme "camp de Kerlern".

 

Aujourd’hui, comme en 1782, il n'y  a que deux fermes dans le village ; le manoir n'était plus habité depuis 1990, même si la toiture a été refaite récemment. Il a été racheté en 2022.

 

Il est probable qu’avant la construction  des lignes « Quélern » ait été le nom du hameau accroché au château/manoir ; il aurait ensuite changé de nom pour devenir Kertoupin.

 

En effet la famille Laé-Keraudren avait une parcelle dans Liors Quélern, qui est à côté du hameau. Et un  certain Toupin habitait Kerlern !

An Allé c'est devenu la jungle !

 

Un seul bâtiment reste accessible à partir du chemin; il est peut-être utilisé par les randonneurs.

 

Il faut lire Fréminville

 

Finalement  la réponse est peut-être dans les « antiquités de la Bretagne », ouvrage publié en 1835 par Fréminville, quand il décrit le manoir de Quélern.

 

Autrefois on savait reproduire l’abréviation de « ker », comme on le faisait encore en 1862.

 

Ce n’était pas le cas général et cela a pu provoquer des confusions.

 

L’examen des BMS et des généalogies publiées sur internet, notamment sur le site GENEANET, montre que l’orthographe des noms dépend beaucoup de la lisibilité des documents. Il en résulte parfois de très nombreuses variantes, qui ne facilitent pas la recherche des ascendants. Dans ces conditions, quelle orthographe faut-il retenir ?

 

Nom de famille et nom de lieu

 

En fait le problème vient de ce que l’on mélange deux choses : les noms de famille et les noms de lieu.

Le nom de famille est bien Kerlern, puisque qu’il est encore utilisé par le dernier représentant de la lignée, comme on l’a vu plus haut. Il est même reproduit correctement dans les documents de la Chancellerie.

 

Comme on l’a vu aussi, le village devait s’appeler Kerlern, comme le manoir. Il devait englober, ce qui est aujourd’hui Kertoupin.  Puis, après la bataille de 1694, qui a vu arriver des nobles ne parlant pas le breton, ces derniers ont francisé le nom en Quélern ou Quélerne dans leur correspondance.  Cette appellation s’est peu à peu étendue aux lignes, puis aux constructions en retrait des lignes, notamment après la disparition du village de Tremet.

 

A certains moments elle s’est même étendue à toute la presqu’ile de Roscanvel. Elle reste encore utilisée aujourd’hui parfois de manière abusive, par exemple, quand on parle de la cale de Quélern, située à Beg Ar Grogn, pointe, qui dépendait du village de Kerincuff. Vous suivez ?

La prononciation des noms bretons est parfois difficile. Elle varie d’ailleurs selon les régions, les situations (essayez d’expliquer la différence entre Lanvaux et Lanvéoc). Les non-initiés ont donc cherché (et trouvé) des appellations faciles à retenir (on a bien en Français Londres pour London).

Cela nous ramène au 16ème siècle, quand le fort de la pointe de espagnols s‘appelait fort de Crozon ou au 17ème, quand la pointe des capucins était appelée pointe de Camaret…

Il n’y a rien de nouveau. Il faut savoir communiquer.

 

J'ai été victime de cette difficulté dans ma thèse quand j'ai parlé d'hydroxyde de nickel turbostratique, en reprendant un terme créé par un améicain, M. Warren; il est d'ailleurs venu des USA assister à une conférence à Marseille, où j'ai pu discuter avec lui. Les chercheurs, qui ont poursuivi mes travaux n'avaient pas eu ce contact; ils ont créé une autre applellation : hydroxyde de nickel  "alpha", qui est aujourd'hui universellement uilisée.

 

Conclusion

 

En guise de conclusion terminons par le breton des villes.

En breton local c’était « kerlern » ; dans la langue courante c’est devenu Quélern.

 

Mais en néo breton, celui des panneaux indicateurs, on a Kelern; alors que cela devrait être « Kerlouarn », puisque, dans un document récent, l’ile du renard a été rebaptisée « Enez Louarn », alors qu’elle s’appelait autrefois « Enez Lern ».

 

Et il y a toujours des renards