A la recherche du village disparu : Tremet
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Le sieur de Tremet
La vente le 1er octobre 1753 des droits seigneuriaux de la tenue de Coatglas par Jean Baptiste Goulhezre, sieur de Trémet, m’amène tout naturellement à essayer d’en savoir plus sur ce personnage.
Les informations trouvées sur internet sont assez confuses, car on a plusieurs branches et les filiations ne sont pas évidentes, surtout quand tous les prénoms ne sont pas repris.
Le nobiliaire et armorial de Bretagne dit que Goulhezre est sieur de Quélern, Tremet, Trébéron (du moins pour la paroisse de Crozon).
Il parait peu probable que le titre revendiqué par la famille Goulhezre s’applique au cap Tremet, zone aride et sans ressources.
Tremet se retrouve dans les
BMS
La lecture des BMS est parfois très fastidieuse : l'encre pâlit et il faut affronter l'écriture peu lisible de certains prêtres. Les BMS de Crozon accessibles par internet ne commencent vraiment qu'en 1702, à part quelques feuillets datant de 1678 et ceux de1694.
Le premier acte retrouvé en 1702 est celui du décès de Françoise Le Treut.
En 1703 il y a le baptême de Corentin Le Guen, en 1704 celui de Marie Le Guen. puis en 1709 on va trouver le baptême de Marie Louise Le Noan.
En poursuivant la lecture des BMS on apprend, qu'il s'agit en fait de la famille MOAN, dont le nom a été écorché et parfois même remplacé par le moine; or la première maison du village de Quélern est justement sur Parc Moan.
Il y a probablement des actes entre 1704 et 1709, mais leur lecture est assez difficile.
Les Derrien habitent Tremet
Marc Derrien et Anne Folgar y sont en 1735.
Par contre lors du décès de son épouse, Anne Folgar, en 1741, il n'est question que de Kerlern.
En 1742 il est à nouveau à Tremet.
Puis en 1753 Marc Derrien habite le village de Quélern Tremet.
En 1784 son fils, Gabriel Derrien, habite lui le manoir de Tremet, mais il est possible qu'il s'agisse seulement de qualifier une grande maison, par opposition aux petites maisons des alentours car les travaux de construction des lignes sont certainement terminés cette année-là. D'ailleurs la maison située sur Parc Moan avait autrefois un étage. Il a été partiellement détruit lors de la dernière guerre et les propriétaires ont finalement décidé de le supprimer.
Du coup se pose la question de la coexistence des villages de "Quélern" (ou "Kerlern") et « Tremet ».
En 1782 il n’y a que 3 maisons sur le plateau, dont celle située au 19 de la route des remparts et qui est datée de 1613; elle a donc été construite peu après la chute du fort de la pointe des espagnols.
Les autres villages associés à Tremet
En 1732 Isabelle Thomas naît à Querguinolo-Tremet. Elle épousera Guillaume Keraudren. Leur fils Jean Thomas Keraudren épousera par la suite Marie Jeanne Penfrat. Cette dernière décèdera à Créac’h signolo en Quélern!! Or on a vu qu’en 1807 ils habitent Pors Quélern. Pour un village de quelques maisons cela fait beaucoup d’incertitude.
En 1742 on trouve aussi kernavail tremet (du moins sous réserve de l’orthographe).
Cela fait penser à la présence d'un moulin.
Si on compare à Kerellot-Tremet et Penarpoul-Tremet, cela semble indiquer qu’il devait y avoir à Crozon des villages ayant des noms proches.
On va trouver alors un Saint
Guenolé pour le premier, mais cela parait un peu tiré par les cheveux.
Pour le second on a le choix entre Kervarvail, près de Postolonnec ou Kernaveno près de Dinan.
Cette désignation rappelle donc bien la proximité d'un moulin (ar vail).
Enfin Créac'h signolo peut
faire aussi référence au signal installé sur le plateau, près de l'ancienne poudrière, aujourd'hui disparue (car c'est sous ce nom, qu'il est identifié sur le cadastre de 1830. La maison de Jean
Thomas Keraudren était à 50m de là.
Quélern ou Tremet ?
Sous réserve d'une relecture plus attentive des BMS, Quélern n'apparait pas dans les actes les plus anciens.
Puis en 1741 Anne Folgar décède à Kerlern
En 1749 c’est Jean Raoul, mais la famille Raoul habite normalement Kertoupin, le groupe de maisons situé juste à côté du manoir de Quélern, où d’ailleurs la famille Laé-Keraudren a des terres dans Liors Quélern, tout près.
Dans les BMS du milieu du 18ème il est question le plus souvent du "camp de Quélerne", puis plus tard des "lignes de Quélerne" ou du « retranchement de Quélerne ».
En 1762 Marie Etienne Gruel est chirurgien à Quelerne.
Ce que disent les cartes
Les plans du débarquement anglais
Le croquis dessiné par Vauban au lendemain de la bataille ne mentionne que la pointe de Trémet.
Le plan du débarquement anglais de 1694, dressé en 1744 par Tindal, ne dit rien sur Trémet, par contre il signale bien les moulins, qui servent d’amer : celui de Rigonou et celui de Quélern.
Plan Traverse
Après la bataille de Camaret du 18 juin 1694 Vauban a demandé à l’ingénieur Traverse de lui préparer un projet de défense de la presqu’ile de Roscanvel.
Ce plan est important, car il est le seul à laisser entrevoir des constructions en haut du chemin. Par contre il ne donne pas leurs noms.
Il est reproduit plus loin.
Plan dressé à la demande du marquis de Paulmy
Sur le plan dressé en 1754 à la demande du Marquis de Paulmy et qui reprend le projet de l’ingénieur Traverse, on note que le nom de Tremet apparait trois fois : la batterie de la pointe de Tremet, la batterie de l’anse de Tremet et l’anse de Tremet, qui s’appellera ensuite anse du Pouldu; c'est aujourd’hui Tres Rouz. En bas, côté rade de Brest on a l’anse de Quélern,
Plan de 1757
Tremet a bien existé. Le village figure sur une carte établie en 1757 à la demande du duc d’Aiguillon, Gouverneur de Bretagne, en vue de poursuivre les travaux de construction des lignes de Quélern.
Ce plan est intéressant car il permet finalement de retrouver le village de Trémet, tel qu'il figurait sur le plan Traverse.
Si le dessin de la côte est différent, on constate par contre, que le profil des lignes est très proche de celui, qui se trouve sur le plan Traverse original et, surtout, sur le plan de 1782.
Plan de 1782
Ce plan dressé en 1782, pourtant très précis ne mentionne que Kerellot-tremet et Penarpoul-Tremet. Le nom de Quélern n’apparait même pas, Kertoupin non plus d’ailleurs, alors qu’il y a bien Penarcréac’h et le moulin de Quelerne.
Si on superpose ce plan sur celui de 1757 on a immédiatement la confirmation, que le village est bien sous l’avancée, qui se trouve devant la porte de Camaret.
La toponymie dans le cadastre napoléonien
Pour se repérer il faut prendre le plan Traverse de 1699.
Ce plan semble assez précis. On distingue des constructions en haut de la route qui vient de Camaret. Il y a une ferme sous le glacis du projet de demi-lune, une autre au niveau de la pliure du plan et une troisième plus bas.
Le dessin du village de Quélern correspond assez bien à la réalité avec les trois maisons, qui se retrouvent sur le plan de 1782 et si, côté Roscanvel, le remembrement a brouillé les cartes, le cadastre napoléonien est bien en phase avec le plan de 1699 ; du côté Kerellot Le parcellaire est resté à peu près inchangé jusqu’à nos jours
.
L’examen du cadastre napoléonien permet de retrouver des traces de certaines parcelles, qui ont été recouvertes par la construction des lignes définitives, à la fin du 18ème siècle.
Elles sont repérées tout d'abord sur le plan Traverse avec en vert les routes actuelles, en bleu et en rouge celles, qui
ont disparu, y compris en pointillés l'ancienne route, qui allait directement de Penarpoul à Trégoudan.
Goarem Coz était une sorte de chemin des douaniers, qui longeait la côte et devait rejoindre le chemin, qui redescendait vers Lodoen pour rejoindre la route principale.
Les parcelles Euc'h ar Guer sont situées au dessus du village, comme on a Euc'h an Ti à Trégoudan.
La même disposition se retrouve sur le schéma ci-dessous
obtenu en rapprochant le plan de 1757 du cadastre napoléonien. Sur ce schéma figurent également les principales parcelles autour de Trémet.
Au nord des lignes
La parcelle qui englobe la pointe de Tremet (82) a pour nom Cap Tremet ; le corps de garde (83) également.
Les parcelles voisines sont désignées sous le nom de « Cost ar cap » (parcelles 81,84, 85 et 99) ; les parcelles à droite du plan : « Huel goarem koz ».
Plus au sud elles portent le nom de « Menez ar cap » (86 à 98, 100 et 101).
Les parcelles suivantes sont appelées « Pen ar parc lann » (feuille n°1 :102 à 109 et feuille n°3 :662 et 663 au nord du village de Quélern).
Entre les lignes
Il y a des parcelles coincées entre les deux lignes, celles prévues par l’ingénieur Traverse et celles, qui seront finalement construites à la fin du 18ème siècle. :
Les premières (666 à 668) portent le nom de « Toul ar Pors », or en 1807 Jean Thomas Keraudren habite Pors Quélern, un peu plus loin, vers l’est.
Tout se passe comme si on avait une configuration semblable à celle de Trégoudan avec une ferme/manoir sur un plateau (le pors) et une zone en pente (toul ar pors).
Le deuxième groupe, plus important, est divisé en deux zones : les parcelles N° 669 à 675 « Ar guinvez » sont au contact des lignes. La superficie des parcelles 674 et 675 a été diminuée par la construction des lignes.
le nom "ar guinvez" se retrouve fréquemment dans de nombreux villages, dont Penarpoul ou Kerloc'h.
Quelle est sa signification?
S'agissait-il d'un ancien cimetière? d'un champ souvent recouvert d'une gelé blanche?
Au sud et à l’ouest du plan, en bordure de mer, le nom change pour « Menez Tremet » (parcelles 676 à 682).
Or on sait qu’à chaque village (ou presque) est associée une zone de terre vaine, non cultivable, appelée « menez » : menez Tregoudan, menez Lodoën, menez Rigonou…
Les lignes principales occupent les parcelles 683 et 684.
Au sud des lignes
Les parcelles suivantes sont sur la quatrième feuille : Kerellot et, curieusement, on retrouve le nom de « pen parc lann » (686 à 688).
Mais surtout on a « Liors Tremet » (688bis à 693) et « Prat Tremet » (694à 696) avec son lavoir, tout en haut, situation tout à fait comparable à celle que l'on a à Trégoudan, où le prat se trouve entre les deux parties du village, avec un lavoir en haut. Le rédacteur du cadastre a noté que le prat appartenait, pour partie, aux tenanciers de Tremet, comme le Prat de Trégoudan appartenait aux habitants du village..
Le fait de trouver « Liors Tremet » fait penser immédiatement à l’existence d’un village, car dans pratiquement toutes les autres listes étudiées, c’est sous le nom « liors » que l’on désigne généralement le sol sur lequel sont bâties les habitations.
Certes dans la plupart des cas on trouve Liors an ty, liors bras ou liors bian, plus rarement un nom de personnage, comme liors Postic pour le pors de Trégoudan, ou un nom associé à un usage : liors leur ou liors guenan.
Mais à proximité du manoir de Quélern il y a un groupe de parcelles appelé liors Quélern, dont une partie se retrouve d’ailleurs dans la succession Laé-Keraudren.
Si on admet que l’on a la même chose avec liors Tremet,
alors le village de Tremet devait se trouver, en partie du moins, sous l’avancée de la porte de Camaret ou la demi-lune. L'autre partie est sur la plateau avec justement Créac'h
Signolo.
Après Prat Tremet on va trouver deux champs : "Foennec Tremet" (697) et "Foennec Kerellot", dont la forme semble indiquer que le champ de fougères a été partagé entre les deux villages. Or un champ de fougères est un élément indispensable dans la vie quotidienne des habitants. A titre d’exemple Joseph Laé a refusé en échange dans les années 60, parce qu’il voulait conserver un champ de fougères.
Sur la photo ci-dessous on a à gauche "Liors Tremet", à
droite, "Parc Gorremée", au fond à droite, l'amorce du chemin, qui est en bas de "Prat Tremet", qui ne semble mener nulle part, mais que l'on distingue bien sur les plans. La parcelle s'appelle
d'ailleurs Toul ar Garront.
Le rédacteur du cadastre napoléonien a noté que le chemin, qui descend vers Kerellot est désormais celui qui mène de Crozon à Roscanvel, même s’il y a désormais un autre chemin, qui traverse l’oreillon pour rejoindre la caserne Sourdis.
Quand on arrive à Kerellot le chemin est empierré.
Le chemin qui va vers Camaret est récent, d'où le nom de Goarem Nevez, qui a été attribué au champ, qui le longe. Par contre le plan de 1699 montre qu’il y avait un chemin côtier et les parcelles voisines, côté Quélern, portent le nom de Huel Goarem Koz, le haut de la vielle garenne.
Enfin on a Parc Lann avec aux deux bouts Pen ar Parc Lann.
Il ne faut pas
oublier l'amorce de route, qui part de Penarpoul en direction du nord; elle arrive très exactement sur l'actuelle rue des remparts, vestige de l'ancien chemin de Crozon à Roscanvel, désormais
coupé par les lignes.
Tremet dans les documents du 19ème siècle
Dans l'un des dénombrements des populations de la commune de Crozon on lit que les villages autour de Trez Rouz font partie de la section de Tremet. Est-ce une erreur du fonctionnaire, qui a recopié les listes et confondu avec la section de Quélern, ou une appellation encore en vigueur au milieu du 19ème siècle?
Dans le dénombrement de 1876 Tremet est listé comme l’un des quartiers de la commune
Tremet aujourd’hui
Outre le cap Tremet, Il ne reste plus que cette indication sur un poteau situé entre le manoir de Quélern et Penarcréac’h.
Mais pourquoi utiliser le mot troad, qui désigne normalement un pied ? Pour un circuit c’est tro (voir le Catholicon), comme dans la troménie de Locronan.
Ou alors il faut interpréter le point sur le "o" et lire troiad, mot nouveau créé récemment
Conclusion provisoire
Il ne reste plus qu'à retrouver des documents sur l'achat des terrains, notamment ceux datés de 1777. Mais le fait que le Prat soit propriété pour partie des tenanciers de Tremet, confirme bien l'existence d'un village de ce nom sous les lignes.
Avec la disparition du village, son nom a également été gommé, du moins partiellement.
Du coup, bien que le manoir de Quélern et le moulin de Quélern soient situés bien plus au sud, l’appellation « Quélern » s’est étendue aux lignes, puis au village, qui grandissait derrière (les portes étaient fermées la nuit), recouvrant alors une zone sensiblement plus étendue et supplantant le nom de Tremet, puisque la presqu’ile de Roscanvel était autrefois appelée presqu’ile de Quélern (voir la carte marine de 1911).
Le nom de Tremet est resté associé au nom des villages en contrebas et au cap en arrière des lignes.
Et le hameau près du manoir est devenu Kertoupin, car j’ai vu passer un acte, que je n’ai pas relevé, où un certain Toupin habitait Kerlern.
Il faut se souvenir que le fort de la pointe des Espagnols était appelé en 1594 le fort du Léon ou le fort de Crozon ; les gens faisant alors référence à des lieux connus, plus faciles à mémoriser que de noms locaux.
Lors de la bataille de Camaret, Tanguy Le Gentil, sieur de Kerlern, était capitaine de la milice de Crozon et le Marquis de Langeron, qui commandait la troupe, était logé chez lui au manoir. Et c’est dans ce manoir que s’est rendu Vauban pour fêter la victoire.
Il est possible qu'à partir de cette célébration le nom du manoir se soit peu à peu étendu à toute la zone, qui sera concernée, quelques années plus tard, par les travaux de construction des lignes.
Mais alors, le manoir de Trémet ne serait-il pas la maison située sur Parc Moan, juste à côté du signal? A une période, où certaines familles déménageaient souvent, il n'est pas impossible de penser, que le Pors de Toul ar Pors, le Pors-Quélern et le Manoir de Tremet soient une seule et unique construction.
Il devait également y avoir
un moulin à Trémet, comme le nom de Kervarvail semble le suggérer.